Lettre ouverte au départ de Pierre Rabhi

 

 

Lettre ouverte au départ de Pierre Rabhi

Apprendre à vivre la Vie et la fin de la Survivance.

 Mon petit cœur de l’âme est venu frapper aux portes de la tristesse le jour où j’ai appris que tu étais parti du pays la Terre. Bien vite fut ton départ. Face à l’immensité qu’est le grand mystère, il faut bien apaiser, sans recours d’artifices, le vide du dedans et du dehors.

Je me souviens de nos premières conversations. Elles ont commencé il y a vingt ans.  Après de longs séjours en Terre Diné située dans le désert de l’Arizona, chez les  Indiens Navajo, rentrer  en France c’était apprendre à me faire des alliés pour mettre en couleur la grande image de mon aventure avec ce peuple: « créer une passerelle culture entre eux et nous ». Des rassemblements événementiels, autour de l’élaboration d’une charte en faveur de la vision et la place des peuples des déserts du monde auxquels je participais, m’ont guidée jusqu’à ta propre histoire. De là, le sablier du temps a œuvré et convenu d’un premier jour pour nous asseoir et  nous raconter.

Après avoir roulé sur le chemin chahuté par la caillasse et les racines des arbustes secs de l’Ardèche, je me suis rendue chez toi à Montchamp.  Michèle ton épouse et toi-même m’avez accueillie avec une  grande simplicité, me tenant éloignée des regards urbains, d’un monde précipité. Sur la table de la pièce de votre maison où se trouve la verrière, le thé à la menthe préparé par tes soins nous attendait. Touchée par tes mots et ton humour, j’ai à mon tour déposé le sable, puis le pollen de maïs, et raconté l’histoire de la cosmogonie navajo et de ma rencontre avec eux. Tu as compris. Tout et très vite. Détendue, comme à la maison, c’est sous le regard bleu ciel de Michèle, que tu m’as dit : «Tu as toute ma confiance et mon soutien pour l’évolution de tes projets avec les Navajos en France ».

Ce jour exceptionnel m’a permis avec Navajo France Association, dont tu es le parrain, de participer au changement de paradigme que de nombreuses initiatives au sein de la société moderne continuent à nourrir. Tes questions de première importance concernaient  le rapport humain et notre rapport à ce que l’on appelle « écologie ».

Pour les Navajo, et donc les dirigeants de la communauté, le mal être d’une personne appartient au mal être de la communauté.  Cela implique que si le mal être est un symptôme, il est celui d’un déséquilibre qui prend sa source au-delà de nous-mêmes.

L’authenticité de nos rencontres officielles s’est étirée régulièrement au fil des années jusqu’au 4 décembre 2021, jour de ton départ pour le grand voyage.  C’est avec la complicité des oliviers de ton jardin, de ton inconditionnel thé à la menthe, du grand cœur de Michèle et de Caroline ton assistante, des rencontres avec les peuples Navajo, Comanche, Cheyenne que toi et moi n’avons cessé d’honorer le regard percutant du Chef Seattle dont le portrait était fixé au mur bleu peint à la chaux de ta pièce de travail.

Au pied d’une natte matelassée roulée à même le sol, nous avons longuement débattu autour du texte de ce chef, de la tribu Duwamish, « La fin de la Vie et le début de la Survivance ». Texte  de réponse au gouvernement américain, qui lui proposait d’abandonner sa terre aux Blancs et « offrait » à la place une « réserve » pour son peuple. C’était en 1854. Nul doute que ses paroles résonnent, un siècle plus tard et continuent à marquer les esprits tant le message questionne toujours. Parce qu’il dénonce les exactions commises par les colons sur les Peuples Autochtones d’Amérique du Nord. Mais aussi, et c’est d’autant plus d’actualité, parce qu’il dénonce la responsabilité humaine dans la destruction de la nature et du vivant.

Nos corps sont sans aucun doute les cellules du monde. Nos sociétés ses organes, nos tensions avec ce qui nous entoure, les signes d’un déséquilibre du vivant en nous. Cette réalité, m’a permis de réfléchir depuis ma rencontre avec les Diné, Le Peuple en langue Navajo, à l’idée d’une communauté occidentale inspirante et bénéfique pour d’autres collectivités humaines.

Toi, tu as donné vie à des milliers de Colibris. C’est pour dire que « la parole est moitié à celui qui parle et moitié à celui qui écoute » ; une citation de  Michel de Montaigne, philosophe indépendant (1572-1592) dont les essais ont nourri la réflexion des plus grands auteurs en France et en Europe de Shakespeare à Pascal de Nietzsche et Proust à Heidegger.

Quand à moi, je continue à veiller au juste au vrai, à écouter le message de l’oiseau lorsque les murs et les plafonds de la maison dans laquelle nous vivons brûlent de son bois vivant, à faire ma part sur cette terre que tu as tant aimée.

Puisses tu marcher dans la beauté.

Hozho

Lorenza Garcia – Fondatrice Navajo France

Paris, le 8 décembre 2021